En 2019, la Maison Joseph Perrier, entreprise historique de la tradition champenoise, a fait l'objet d'une rénovation et d'un agrandissement des espaces. Le projet d'éclairage s'est inscrit dans le contexte du projet architectural du cabinet Thiénot Architecture : nous en parlons directement avec le concepteur lumière lui-même, Emeric Thiénot de l’agence parisienne Lumesens.
Pourriez vous nous indiquer comment est né le projet d’éclairage de la cave Joseph Perrier? Comment cette collaboration a t-elle été crée avec le client ?
Une première étude a été réalisé en 2005, mais qui n’a finalement pas donné de suite. Fin 2018 l’équipe de Joseph Perrier a décidé de reprendre le projet mais avec beaucoup plus d’ambition.
Il y avait le désir de réaliser l’illumination du parcours visite des caves mais auquel s’était rajouté des espaces d’accueuils du public avec des salles d’expositions, une salle de dégustation, le réaménagement complet de la cour, avec la démolition d’un bâtiment, l’amménagement de 2 parkings et des nouveaux bureaux.
Quelles étaient les besoins du client, et comment avez vous défini les axes prioritaires du projet ?
Les besoins du client étaient multiples sur ce projet, une partie était relativement classique avec les bureaux et les salles d’exposition, et les éclairages extérieurs;
La grande contrainte sur le projet était la problématique du “goût lumière” sur le champagne.
Le goût lumière est un défault qui est créée par la réaction chimique de la lumière sur la riboflavine du vin. Nous étions donc tenu à des niveaux très faible d’éclairement, ce qui n’était pas pour nous déplaire, et avec la contrainte pour l’éclairage en direct sur les bouteilles d’utiliser des sources en 595 nm.
Les passages dans les caves et ceux dans la cours présentent un type d’éclairage différent entre l’intérieur et l’extérieur. Quel est le concept à la base de ces choix d’éclairage?
Nous ne voulions pas avoir de rappel entre les différents espaces. En effet dans le parcours, le visiteur passe dans différents espaces, du parking à la cour extérieur, à l’accueuil et aux salles d’expositions; pour entrer enfin de plein pied dans les caves.
L’idée était de vivre une expérience unique et forte. Le visiteur entre dans un espace très sombre où il doit laisser son oeil s’habituer, il est accompagné sur les premiers 50m par une ligne lumineuse très douce et chaude qui l’ammène à la grande allée principale où son oeil est cette fois-ci habitué à cette semi-pénombre; il peut alors partir à la découverte des caves.
A l’intérieur de ce projet, plusieurs versions spéciales de produits L&L ont été utilisées. Peut-on affirmer que ces modifications sont la clé et la démonstration qu’un type de lumière non conventionnelles peut donner une valeur ajoutée au projet?
Notre travail de concepteur lumière consiste à imaginer des espaces d’ombres et de lumière et de trouver les moyens techniques de les réaliser.
Nous essayons dans la mesure du possible d’utiliser ce que les fabricants d’éclairage nous proposent, mais souvent, nous nous trouvons obligé de transformer du matériel existant, soit par une accesoirisation nouvelle de l’appareil, ou un changement d’optique ou de source pour la réalisation d’un effet, ou bien la transformation de l’appareil pour une intégration spécifique.
Ces transformations ne sont alors pas une valeur ajouté au projet, mais elles sont les raisons et qualités intrinsèques du projet lumière.
Avez vous reçu des questions ou des critiques au sujet de l’utilisation de produit avec des versions spéciales sur votre projet ? Si oui, comment avez vous réussi à faire accepter ces versions spéciales ?
Le client avait confiance dans nos prescriptions et ne voyait pas les prescriptions en “spéciales” comme un risque, mais comme le travail normal d’un concepteur lumière. Nous avons bien sûr tout le long du projet dû prouver nos intuitions par des essais pour convaincre le client.
Pour ce projet la possibilité d’avoir des luminaires en Inox AISI 316L était primordiale, car l’impréssionante humidité de l’air, mélangée au milieu calcaire est une cause de détorioration accéléré du matériel.
La possibilité d’avoir des blancs en 2200K était également primordiale pour la qualité du projet.
De plus la qualité de l’optique sharp, nous a permit de réaliser nos effets de projection “reflets d’eau” et “vitrail”.
Les projecteurs Ginko 2.0 installés dans les caves, ont été équipés d’accessoires spéciaux: certains Ginko 2.0 sont équipés d’un verre plat extra clair + un filtre spécial qui projette un reflet de lumière coloré au plafond, et d’autres Ginko 2.0 projettent un effet de reflet de lumière monochorme à différents endroits de la cave.
Pourriez vous nous décrire le matériel utilisé pour le filtre spécial coloré ainsi que pour celui qui projette l’effet de reflet de lumière monochrome. Pourriez vous nous indiquer l’origine de ces idées mais aussi l’interprétation de ces effets dans le projet.
J’aime travailler la lumière comme un artisan. La lentille Sharp m’a donné l’idée de réutiliser une technique que j’avais appris avec Georges Hladiy de verres collés. J’ai donc fabriqué de micros vitraux que j’ai insérés dans les projecteurs, pour projeter des jeux subtils où la lumière blanche et les couleurs se mélangent.
Nous avons utilisé ce principe dans les petits essorts, ce sont des petits puits dans les voûtes qui traversent la colline sur 20-30 mètres qui permettent l’aération des caves. Les mouvements d’air dans ces impréssionants passages, sont les seuls liens lointains avec l’extérieur; ils sont ici symbolysés par la lumière.
La lumière vitralisée est fragmentée, comme si, seulement quelques fréquences de la lumière avaient réussi a traverser la colline.
Pour ce qui est des effets de “reflet d’eau” dans la salle gallo-romaine. Je voulais retrouver le mystère des caves avec l’ondulation des reflets d’une rivière souterraine sur les voûtes.
J’ai donc cabossé des disques miroirs que j’ai suspendu avec notre super installateur David au projecteur Sharp avec des fils nilons pour qu’ils puissent bouger avec les mouvements d’air, la lumière symbolisant une nouvelle fois l’air et ses mouvements. J’aime beaucoup cette fragilité dans une installation pérenne.
Le projet a été primé récemment pour la conception lumière intérieure 2020, Prix de l’ACEtylène 2020. Félicitations. Nous ne pouvons donc pas éviter de vous demander, selon vous, quelles sont les caractéristiques fondamentales qui doivent être présentes pour réaliser un bon projet d’éclairage.
Merci beaucoup. Pour réaliser un bon projet d’éclairage, il faut déjà une bonne maîtrise d’ouvrage avec une réel envie, c’est essentiel. Il faut également une équipe de maitrise d’oeuvre qui croît et qui accompagne le concepteur lumière et son projet fragile qui s’invente au fur et à mesure. Il faut également des fabricants qui suivent le concepteur dans ses élucubrations et des installateurs qui se l’approprient, chacun l’enrichissant par ses savoirs et le rendant possible.
Nous avons eu la chance sur ce beau projet que toutes ses conditions et personnes soient réunis.